http://www.quoideneufsurmapile.com/2016/04/interview-laurent-kloetzer-homme-de.html
Laurent Kloetzer devient progressivement un habitué de ce blog. Interviewé ici
mais aussi là, ses romans hors fantasy ont souvent été chroniqués dans ces parages.
Le dernier sorti est
Vostok, un excellent texte d'aventure scientifique et personnelle dans l'un des lieux les plus inhospitaliers de la planète.
Laurent Kloetzer a gentiment accepté de répondre à quelques questions sur cette dernière œuvre. Suivons-le vers l'Antarctique.
Bonjour Laurent. Tu viens de publier Vostok, une palpitante histoire
de quête située dans un lieu très inhospitalier, la station antarctique
Vostok. Pourquoi avoir décidé d’écrire sur un tel lieu ?
Laure et moi avions envie depuis longtemps d’écrire une histoire
antarctique et nous suivions dans les journaux les découvertes faites à
la base
Vostok (surtout les percées autour du
lac, ça nous paraissait très lovecraftien.
D’ailleurs j’avais chroniqué le point ici,
alors que je ne pensais pas encore écrire quoi que ce soit à ce sujet).
Puis Laure m’a mis dans les mains le livre de Jean-Robert Petit, qui
m’a complètement fasciné (
Vostok, le dernier secret de l’Antarctique,
Paulsen). Pour l’histoire véritablement épique qu’il évoque, et pour le
récit de la science telle qu’elle se fait. Quand le moment est venu
d’écrire un récit antarctique, nous savions que ça tournerait autour de
la base Vostok.
J’ai été particulièrement touché, dans le livre de Petit, par cette
relation très sentimentale de l’auteur avec ce lieu. J’ai voulu
travailler avant toute chose sur cette émotion.
Pourquoi ce roman est-il un Laurent Kloetzer et pas un L.L. Kloetzer, contrairement à Anamnèse ?
C’est un projet L.L. Kloetzer (le scénario et l’idée de base), mais pour
des raisons d’emploi du temps et de charge de travail, j’y ai travaillé
seul. Les défauts sont donc tous de moi.
Comment t’es-tu documenté sur les conditions de vie et de travail dans les bases antarctiques ?
En lisant des livres et en voyant des films… comme tout le monde. C’est
un sujet très bien documenté. Le plus dur était de se renseigner sur les
expéditions russes, la documentation en français ou en anglais à ce
sujet n’est pas très abondante et mon russe pas assez bon. J’ai
toutefois eu de bonnes surprises, comme par exemple de pouvoir lire
72°C en dessous de zéro, un roman d’aventure soviétique des années 70, traduit à l’époque chez Pygmalion.
Tes personnages sont des membres de cartels chiliens. Pourquoi ce choix « exotique » ?
Je voulais que l’Antarctique ne soit pas trop loin, or le Chili est tout
proche du continent blanc. De plus, Juan est venu tout de suite, avec
une silhouette inspirée par un bon copain chilien. A quoi tiennent les
idées…
Ton personnage principal, Léo, est une très jeune fille issue d’un
pays pauvre. Comment as-tu procédé pour rendre crédible un personnage
aussi éloigné de toi ?
Je suis bien content que tu l’aies trouvée crédible. J’attends
maintenant le retour de lecture d’une vraie jeune fille de quinze ans
(l’une d’elles a relu le début du roman, ça m’a aidé).
Etait-il important pour toi que les deux personnages centraux du
roman (Léo et Veronika) soient des femmes vainquant l’adversité ?
Carrément. On ne choisit pas le genre de ses personnages au hasard, et
quand un homme écrit sur des femmes, il doit toujours travailler sur les
représentations, les clichés. Plus précisément, j’ai écrit ce roman
pour une jeune fille et pour mes filles, j’avais envie de leur donner de
beaux personnages auxquels s’identifier. Ni putains, ni vierges, ni
princesses.
Pourquoi avoir fait de Veronika, la scientifique ex-soviétique, une pasionaria komsomol ? Y a-t-il un peu de son idéal en toi ?
L’URSS a connu son festival d’horreurs, mais c’était aussi un pays porté
par une idéologie très puissante, dont certaines valeurs me parlent.
Spoutnik tout comme Vostok sont deux enfants de l’Année Géophysique
Internationale. A l’époque de la rédaction de Vostok, Laure me lisait
des extraits de
La fin de l’homme rouge, livre bouleversant de Svetlana Alexeievitch sur le monde soviétique. Ça m’a influencé.
Qu’éprouves-tu pour ces hommes qui partaient si loin, si longtemps
pour faire avancer la science ? Que sais-tu de leurs motivations ?
Comment les juges-tu ?
Petit décrit cela bien mieux que moi. Il montre comment la connaissance
scientifique se bâtit sur toutes sortes de raisons : rivalités, amitiés,
magouilles, honneurs, mais qu’au fond elle rassemble plus qu’elle ne
sépare.
La vie dans Vostok met à l’écart d’un monde qui apparaît
progressivement de plus en plus artificiel. Est-ce ainsi que tu vois le
monde ? Caresses-tu aussi un rêve d’ermitage ? As-tu lu Dans les forêts
de Sibérie de Sylvain Tesson ou d’autres livres racontant des
expériences d’isolation extrême ?
Il y a sans doute dans ce roman un fantasme de repli sur le bunker. Mais
le repli à Vostok ne peut pas être autarcique. Sans le reste du monde,
la station meurt.
Tu es quelqu’un qui connaît parfaitement l’œuvre de Lovecraft.
Comment ne pas être écrasé par l’ombre des Montagnes hallucinées et de
sa quête d’inconnu dans le grand Sud ? Plus généralement, y a-t-il des
œuvres (que tu pourrais conseiller) auxquelles tu reconnaitrais une
parenté avec Vostok ?
Tu as raison, la présence des
Montagnes Hallucinées était
écrasante. De plus, après avoir relu le texte et passé des heures à
faire jouer des explorateurs des années 30 écrasés sur les pentes de la
plus haute chaîne de montagne qui soit sur Terre, j’avais l’imaginaire
envahi par cette vision de l’Antarctique. C’est le livre de Petit qui a
tout débloqué, en me faisant connaître ce qui vient après l’âge héroïque
des explorateurs (de Bellingshausen à Byrd, en passant par Scott et
Amundsen), c’est à dire l’âge scientifique et géopolitique de
l’Antarctique, qui n’est pas moins passionnant.
En écrivant
Vostok, j’avais également une autre référence en tête (très humblement) :
l’Ile au trésor.
Un voyage lointain, une séquence initiale dans le pays d’origine, un
enfant perdu au milieu de personnages plus ou moins méchants, forcé à
son tour de jouer un rôle. J’ai relu
l’Ile au trésor après avoir fini
Vostok, et je me suis dit qu’il restait beaucoup à apprendre.
Pourquoi avoir situé ce roman dans le monde d’Anamnèse ? Et pourquoi y
avoir mis en scène un « ghost » ? Le roman n’aurait-il pas fonctionné,
même un peu différemment, sans cet élément ?
Ça faisait partie du projet dès le début. Le roman devait se passer dans
notre futur, et je n’ai pas tant de futurs disponibles. Par ailleurs,
d’un point de vue narratif, le ghost permet de traiter de manière plus
intéressante le personnage de Leo, il apporte une belle dimension
littéraire.
Tu abordes incidemment la question du réchauffement climatique et de
l’entrée en anthropocène. Dans quelle mesure cette question te
préoccupe-elle ? Comment vois-tu l’avenir sur cette question ?
La question me préoccupe personnellement, mais je n’ai pas grande
autorité pour en parler. Après ça, les livres qu’on écrit sont le reflet
de notre temps.
Je te remercie infiniment et je souhaite longue vie à Vostok.